Dans ce
quatrième numéro de l’année 2003, la lettre fiscale vous présente une étude
portant sur les principes d’équité fiscale. Les principes d’équité fiscale La constitution tunisienne dispose dans son article 16 que « le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de l’équité, constituent un devoir pour chaque personne ». L’équité fiscale,
selon les facultés contributives, constitue donc un principe constitutionnel. La valeur
constitutionnelle de l’équité fiscale se conçoit d’autant mieux qu’il est
aujourd’hui acquis que l’iniquité fiscale aggrave la nuisance des
prélèvements fiscaux sur l’activité et la croissance économiques, réduit la
capacité du marché d’allouer les ressources de façon optimale et favorise la
défaillance des entreprises. En fin, l’équité est un élément de la légitimité du pouvoir fiscal. I-
Principes généraux de l’équité fiscale Sans
échapper à l’influence d’une idéologie à caractère social sous-jacente,
certains principes sont généralement admis comme étant constitutifs de
l’équité fiscale : (1) Les impôts doivent correspondre à la capacité contributive : Les personnes
dont le revenu et la situation s’équivalent doivent payer des impôts
équivalents. Par contre, les personnes dont le revenu est plus élevé
devraient payer davantage d’impôts. Lorsqu’il est pertinent, l’impôt payable
par les particuliers à revenu élevé devrait augmenter progressivement. (2) Les personnes dans le besoin doivent bénéficier des déductions
nécessaires : le régime fiscal doit prendre en compte les
situations particulières qui ont pour effet de limiter la capacité
contributive. Les personnes les plus démunies devraient être dispenser de
toute contribution fiscale ; (3) Les impôts dus sont payés : autrement
dit, les règles du régime fiscal sont respectées. Le gouvernement doit
s’assurer que les citoyens sont au fait de leurs obligations fiscales et
l’administration fiscale perçoit les impôts payables de façon efficace et
équitable à la fois pour le gouvernement et pour les contribuables. L’équité
fiscale suppose un examen constant du fonctionnement du régime fiscal car une
disposition qui était parfaitement adaptée à l’équité au moment de son
instauration peut ne plus l’être aujourd’hui en raison de l’évolution. (4) Un régime fiscal efficace doit comporter diverses sources de recettes
fiscales : ainsi, le régime aura la souplesse nécessaire
pour favoriser divers objectifs de politique, et aucune partie de l’assiette
fiscale ne sera utilisée de façon excessive. Impôt sur
le revenu : L’impôt sur le revenu s’apprête
particulièrement à la réalisation de l’objectif d’équité Trois
principes clés sous-tendent l’impôt sur le revenu des particuliers : (1) Les
particuliers dont la situation et le revenu sont équivalents devraient payer
le même montant d’impôt ; (2) La
situation particulière des contribuables doit être prise en compte, de
manière à ce que deux citoyens, dont le revenu est équivalent mais qui n’ont
pas la même capacité contributive en raison de besoins spéciaux (maladie,
incapacité physique ou charges de famille, etc…), paient un montant d’impôt
différent reflétant leur situation particulière ; (3) Le régime
fiscal devrait être progressif. Autrement dit, le pourcentage de revenu qui
doit être payé sous forme d’impôt augmente en fonction du revenu. Néanmoins,
la progressivité doit être suffisamment modérée pour ne pas avoir un effet
desincitatif au travail et à l’investissement. Modalités
d’application des réductions : Il existe deux modalités
d’application des déductions : (1) Soustraction
des déductions du revenu imposable et application du barème d’imposition au
revenu imposable ainsi déterminé : dans ce cas, plus le revenu est élevé
pour le gain résultant des déductions qui ont de fait affecter la tranche de
revenu la plus imposée est élevé. (2) Calcul
d’un crédit d’impôt correspondant aux déductions selon le barème et
soustraction de ce crédit d’impôt de l’impôt dû sur la totalité du revenu
avant déduction. Dans ce mode, le montant de l’économie fiscale lié aux
déductions devient le même quel que soit le niveau de revenu du contribuable.
Ainsi, les contribuables dont les revenus sont plus élevés ne bénéficient pas
d’un gain fiscal provenant des déductions communes plus élevé que le
contribuables à revenu plus modeste. Les
charges de famille et la faculté contributive : Une
imposition basée sur la faculté contributive doit reconnaître que les coûts
que doivent assumer les familles pour élever leurs enfants, dans leur intérêt
personnel mais aussi celui de la société entière, réduisent leur capacité
contributive. La
TVA : La TVA est un impôt aveugle qui frappe la
consommation. Il existe
plusieurs modalités pour réduire le poids de la TVA sur la consommation des
citoyens de faibles revenus et tenir compte de la faculté contributive : (1) L’institution
de différents taux d’imposition tenant compte du degré de nécessité du
produit. (2) L’exonération
totale de certains produits (tels les produits alimentaires, les livres et
fournitures scolaires, les médicaments et les loyers d’habitation) qui
suppose, pour être effective, le maintien du droit à déduction sur les
intrants pour les opérateurs économiques. (3) L’institution
d’un crédit de taxe au profit des contribuables à faible revenu destiné à
compenser la TVA qui a grevé leur consommation. II-
Le dilemme équité-efficacité Dans la
détermination des politiques fiscales, il est admis qu’une assiette large à
taux faible est plus équitable qu’une assiette étroite à taux élevé. D’un autre
point de vue, la poursuite de l’objectif de développement de certains
secteurs peut justifier l’institution d’impositions allégées. Néanmoins,
selon Maillard, « les taux réduits ciblés suscitent en général une
grande inventivité de la part des producteurs, qui cherchent à reprofiler
leur produits, sans en changer la nature, pour les rendre éligibles à la
fiscalité la plus favorable ». Le coût
économique de la progressivité de l’impôt pour tenir compte de la faculté
contributive : Didier Maillard rapporte que « le coût
en bien-être de la fiscalité croit comme le carré des taux marginaux ».
Ainsi, des taux marginaux d’imposition élevés pénalisent l’activité et la
croissance économiques. Ainsi, si
le principe de la faculté contributive milite pour l’impôt progressif, le
coût économique en termes de bien-être d’un impôt progressif par rapport à un
impôt proportionnel est très élevé. Dans ce contexte, un arbitrage est nécessaire.
Mais dans tous les cas, la multiplicité des taux et une progressivité forte
ne sont généralement ni pertinentes sur le plan fiscal ni efficientes sur le
plan économique. Une
imposition équitable suppose d’abord une assiette équitable : lorsque
l’assiette amène à imposer des revenus fictifs, il se crée un biais entre le
taux nominal d’imposition et le taux réel et transgresse le principe
d’imposition selon les facultés contributives. Ainsi, les
provisions nécessaires qui ne peuvent être réduites de l’assiette imposable,
les charges de famille qui sont prises en compte pour des montants
symboliques et la non déductibilité des frais de soins de l’assiette
imposable à l’impôt sont des exemples d’imposition non conformes au principe
d’équité selon les facultés contributives. Impôt sur
le revenu ou impôt sur la consommation : L’impôt
sur la consommation taxe le revenu dépensé après qu’il ait été soumis à
l’impôt sur le revenu. Ainsi, tant que le revenu est épargné, il n’est pas
soumis à un impôt sur la consommation. C’est seulement lorsqu’on désépargne
qu’on subit l’impôt sur la consommation. En
revanche, l’impôt sur le revenu frappe la totalité du revenu, qu’il soit
épargne ou non. A son tour, le revenu de l’épargne est soumis à l’impôt sur
le revenu. De ces éléments,
on peut déduire que l’impôt sur la consommation est plus neutre que l’impôt
sur le revenu du point de vue du choix entre épargner et consommer alors que
l’impôt sur le revenu permet une meilleure adéquation entre imposition et
facultés contributives et est donc plus équitable que les impôts de
consommation qui s’appliquent de façon aveugle abstraction faite des facultés
contributives du consommateur. III-
Equité et légitimité du pouvoir fiscal La
légitimité du pouvoir fiscal pose des problèmes multidimensionnels. Ses
problèmes sont à la fois politique, sociologique, juridique et administratif. Sur le
plan sociologique, la légitimité du pouvoir fiscal suppose que le
contribuable soit persuadé de la nécessité de l’impôt et de son équité. Mais si le
consensus est établi sur la nécessité d’équité fiscale et sur certains de ses
aspects, comme le souligne Gaston Jèze « l’idée de justice n’ayant pas
de valeur absolue, l’accord n’existe pas sur les conditions que doit remplir
l’impôt pour être considéré comme juste » au sens d’équitable. L’équité
fiscale représente un enjeu à la fois idéologique, économique et éthique. Aspects
consensuels de l’équité : Le consensus est établi sur le
fait que l’équité fiscale suppose le strict respect de l’égalité entre les contribuables.
Ainsi, la loi fiscale doit être appliquée à tous, de façon impartiale, sur un
même pied d’égalité et avec la même efficacité. L’équité
suppose aussi les garanties de recours à la justice pour bénéficier d’un
procès équitable. Les
aspects idéologiques de l’équité : Le sens à donner à
l’équité oppose les libéraux aux courants politiques sociaux. Deux
grandes écoles se disputent le sens de l’équité fiscale : la première
considère que l’imposition de chaque citoyen doit être basée sur sa capacité
de payer (la capacité contributive) et la seconde considère que l’équité
fiscale exige plutôt que chaque contribuable acquitte des impôts en fonction
des services publics qu’il consomme ou de façon égalitaire abstraction faite
de sa capacité de payer. Les
différentes conceptions de l’équité fiscale et leurs conséquences
techniques : Les techniques d’imposition dépendent de la manière
dont on se représente l’équité : (1) La conception la plus simple considère que chacun
doit payer la même cotisation sans se préoccuper de la situation particulière
du contribuable. « Il s’agit d’une égalité arithmétique qui repose sur
l’idée que la justice s’identifie à l’égalité stricte entre contribuables
quant au sacrifice à consentir, sans considération des inégalités économiques
ou sociales existant éventuellement entre ces contribuables » [1]. (2) Une autre conception de l’équité fiscale s’appuie
sur le principe selon lequel les contribuables doivent être taxés de façon
proportionnelle en fonction de ce qu’ils obtiennent de richesses. Les impositions types de cette approche proportionnelle sont les impôts sur la dépense prélevés à taux proportionnels telle la TVA. L’imposition proportionnelle marque de plus en plus d’influence sur l’impôt sur le revenu par l’institution d’un nombre réduit et rapproché de taux d’imposition. (3) La troisième conception associe justice fiscale et
justice sociale en visant à imposer à des taux progressifs qui augmentent
avec l’augmentation de l’assiette imposable. « Selon cette optique,
l’impôt doit être progressif, personnalisé et tenir compte de la faculté
contributive du contribuable » [2]. L’imposition
typique découlant de cette conception est l’impôt progressif sur le revenu. Les
différentes conceptions de l’équité fiscale exercent une influence relative
sur les systèmes fiscaux de sorte qu’aucun système fiscal ne soit le reflet
d’une conception unique. Néanmoins,
si l’on prend l’exemple actuel de la Tunisie, la part des recettes fiscales
provenant des prélèvements à taux proportionnels dépasse largement celle des
prélèvements à taux progressifs. De même, l’existence d’une démographie
fiscale dominée par les forfaits BIC et d’assiette réduit considérablement la
possibilité de concevoir un système fiscal basé sur l’équité. Conclusion L’équité est la pierre angulaire de
tout l’édifice fiscal si nécessaire à toute société moderne et démocratique.
Aussi bien le législateur que l’autorité administrative sous le contrôle du
juge fiscal doivent-ils privilégier de façon constante le principe majeur d’équité
fiscale élevé au rang d’un principe constitutionnel. |