L’éducation supérieure en comptabilité

 

Par Abderraouf YAICH

 

Le domaine de l’éducation constitue une nouvelle science à part entière.

Bien entendu, je ne suis pas un spécialiste des sciences de l’éducation bien que je m’y intéresse très fortement depuis que je m’applique à comprendre le phénomène éducatif.

Aussi, cette communication se limite-t-elle à apporter le point de vue d’un non spécialiste sur une question qui devrait nous préoccuper au premier degré à savoir celle de la consistance et de la qualité de l’éducation supérieure en expertise comptable en raison de son impact sur notre avenir.

Pour nous interroger sur l’éducation supérieure en comptabilité, je vais approcher la question autour du triangle didactique dont les éléments sont les programmes, les enseignants et les étudiants.

 

 

L'étudiant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Mais tout d’abord, pourquoi j’utilise le terme éducation au lieu d’enseignement ? Parce que probablement c’est d’éducation qu’ont besoin les étudiants en comptabilité pour se préparer à  réussir leur insertion professionnelle, dans la profession libérale, dans la direction des entreprises ou dans l’administration publique ou encore dans la vie tout court.

Alors que l’enseignement désigne le transfert des savoirs, l’éducation ajoute aux savoirs l’apprentissage des comportements et attitudes adéquats ainsi que le développement des aptitudes aux jugements professionnels pertinents.

Examinons maintenant l’état de la question à partir de chacun des éléments du triangle didactique dans un contexte de mondialisation et d’émergence de la société et de l’économie du savoir.

I. Les programmes

Au sens large, les programmes englobent à la fois les matières enseignées et leur contenu.

Depuis la dernière réforme, les programmes sont unifiés quant aux intitulés des matières et le nombre d’heures d’enseignement a été réduit.

Cette nouvelle vision de l’enseignement supérieur s’inspire quant à la limitation du nombre d’heures des pratiques dans les pays développés. Elle repose sur le principe selon lequel il appartient à l’étudiant d’assumer l’essentiel de ses apprentissages en apprenant à apprendre.

Ce nouveau concept de programmation des études implique des changements dans les méthodes et techniques pédagogiques. Réduire le volume horaire tout en maintenant la méthode du cours magistral (synonyme des fois à cours dictée) équivaut à subir une sérieuse limitation génératrice de gaps dans la couverture des programmes, gaps qui s’accumulent d’année en année tout au long des quatre années de la maîtrise.

Ainsi, on a pu voir des étudiants qui obtiennent leur maîtrise en gestion comptable sans savoir élaboré un état de flux de trésorerie ou le résultat par action, sans avoir jamais rédigé des notes aux états financiers et par conséquent sans avoir jamais élaboré un jeu complet d’états financiers. Or, de tels apprentissages devraient être acquis au cours des deux premières années et constituent un prérequis  pour l’étude de la comptabilité approfondie ou encore de la consolidation.

Ainsi, l’accumulation de gaps prive l’étudiant qui se limite aux enseignements dispensés des prérequis pour appréhender aux meilleures conditions des niveaux supérieurs d’apprentissage et créent un écart flagrant entre la maîtrise et le certificat de révision comptable.

Quant au contenu des programmes, je vais me limiter à un certain nombre de remarques qui ne peuvent faire l’objet de polémique :

  1. Le droit civil qui est pour l’apprentissage du droit ce qu’est la fondation pour l’édifice est expédié en un semestre soit moins de 40 heures.

  2. La comptabilité I, II et III dont le contenu est défini de façon non formalisée officiellement (du moins à ma connaissance) et dont la conséquence établie est que la majorité des étudiants achèvent la maîtrise sans maîtriser les états financiers alors que la philosophie fondatrice de la nouvelle comptabilité financière est centrée sur les états financiers et la manière de satisfaire aux qualités caractéristiques.

  3. Le droit pénal des affaires n’est plus enseigné en maîtrise de gestion comptable.

Par ailleurs, on dote du temps à l’enseignement des comptabilités sectorielles qui relèvent plutôt des enseignements spécialisés.

Conscients des problèmes issus de l’uniformisation des programmes, les responsables sont souvent confrontés au dilemme suivant : faut-il se conformer aux programmes à la lettre ou peut-on se permettre certaines améliorations qui paraissent impératives ?

La nécessité d’une application intelligente de la règle fait qu’à chaque fois qu’il paraît nécessaire de faire mieux, il faudrait oser le faire. C’est à ce prix que les systèmes évoluent et maintiennent leur efficacité.

Ceci sans dire que l’essentiel des compétences qui caractérisent une éducation qualifiante en pratique (telle l’aptitude à vivre en commun et à communiquer avec les autres) ne sont pas enseignées dans les universités.

Concentrons-nous, maintenant, sur le deuxième élément du triangle : les enseignants.

II. Les enseignants

Bien qu’il soit appelé à connaître d’importantes mutations, le rôle de l’enseignant conserve toute l’importance qui a fait dire aux arabes que nous sommes [1]   « كاد المعلم أن يكون رسولا » .

Et malgré les moyens limités mis à disposition et le manque d’attrait financier du métier, l’enseignant est amené à faire face à de nombreux défis :

- Le premier de ses défis est la mise en harmonie des méthodes pédagogiques avec le concept de programmation basée sur la limitation du nombre d’heures.

Ainsi, l’enseignant doit abandonner le rôle de l’unique véhicule des savoirs vers un rôle de facilitateur d’apprentissage semblable à celui d’un coach qui aide ses joueurs à faire jaillir le meilleur d’eux mêmes.

Le métier d’enseignant devient ainsi plus exigeant tant en compétence disciplinaire qu’en compétence pédagogique.

Dans ce sens, il semble élémentaire que chacun des enseignements fasse l’objet d’une fiche pédagogique mise à la disposition des étudiants longtemps à l’avance précisant les objectifs pédagogiques poursuivis, le contenu détaillé du programme, une documentation de référence couvrant la totalité du programme et le mode d’évaluation des connaissances.

- Le second de ses défis est l’obligation de rendre compte. Le métier d’enseignant ne sort pas du cadre contractuel dont le principe élémentaire est l’obligation de rendre compte :

Si enseigner était une profession libérale, la régulation se ferait par la réputation et le marché. Mais comme le métier s’exerce sous le statut de la fonction publique qui récompense peu les plus méritants et garantit la conservation de l’emploi à tous y compris ceux dont les performances sont médiocres, le métier devra trouver des outils de régulation pour qu’il puisse continuer à satisfaire les attentes et à gratifier, du moins moralement, les enseignants.

Aussi, un des défis majeurs pour le métier d’enseignant est-il de développer ses capacités d’analyse de sa pratique professionnelle que Perrenoud désigne d’obligation de lucidité.

A ce titre, les systèmes d’évaluation des professeurs par les étudiants finiront par s’imposer de fait ou de droit, de façon formelle ou informelle.

Les élèves d’une école d’ingénieurs de Tunis qui s’échangent les informations par mailing list privé ont bien eu l’idée de noter un de leur professeur en vue de lui envoyer une synthèse des notes qu’il a méritées.

Avec les nouvelles technologies, si on ne prend pas volontiers part au progrès avec ce qu’il implique comme moyens mais aussi comme contraintes, on y est tôt ou tard astreint par la force des choses.

Le troisième des défis est l’obligation de compétence :

Choisir le métier d’enseignant, c’est accepter d’assumer une lourde responsabilité humaine. Philippe Perrenoud, un spécialiste en sciences de l’éducation, fait le parallèle entre l’erreur médicale et celle de l’enseignant. Ainsi, si dans un traitement médical, une erreur fatale est visible, rien de tel dans l’enseignement. Et il ajoute que « si, jour après jour, un enseignant ignore les questions d’un élève et le ridiculise dès qu’il se manifeste, les effets qui peuvent être aussi graves que l’erreur médicale ne seront visibles qu’à long terme »[2].

Par ses attitudes et comportements et le sérieux avec lequel il entreprend ce qu’il fait, l’humilité scientifique qui caractérise les bons éducateurs, l’enseignant est un modèle que nombre d’étudiants reproduisent. Finalement, les enseignants fabriquent des étudiants à leur image. Et lorsqu’on entend répéter à foison que le niveau des étudiants ne cesse de baisser, il faut se poser la question si l’on est pas en train de nous renvoyer notre propre image.

D’autres défis non moins importants peuvent être énumérés tels l’aptitude à travailler en équipe, l’aptitude à suivre l’expansion des savoirs et à améliorer sa prestation pédagogique, « l’aptitude à assumer l’obligation de lucidité de l’enseignant sur lui-même, ses actes, son rapport au travail, son éthique, le sens de ce qu’il fait, les savoirs dont il dispose, les compétences qu’il a et celles qu’il n’a pas »[3], l’aptitude à motiver les étudiants et à créer une ambiance favorable à l’apprentissage et à l’effort, etc…

Enfin, je ne voudrais pas passer à l’examen du troisième élément du triangle sans rappeler l’importance du rôle que jouent les enseignants qui n’a d’égal que leur responsabilité dans la formation de l’avenir de notre pays.

Plus un pays à d’égard à la qualité de son système éducatif, plus un pays élève haut ses enseignants tout en se montrant exigeant à leur égard, plus il favorise les ressources humaines qui feront sa réussite économique et sociale.

Passons maintenant à l’élément de base du triangle, à savoir l’étudiant.

III. L’étudiant en comptabilité

La performance académique au sens large de réussite aux études et de construction des compétences est essentiellement fonction :

  1. de l’engagement et de la motivation de l’étudiant envers ses études notamment lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un projet personnel et professionnel qu’il s’est déjà défini,

  2. de la qualité et de l’intensité de l’encadrement,

  3. de l’effort fourni, de l’application et de l’assiduité aux études compte tenu des capacités personnelles de l’étudiant,

  4. des méthodes de construction des connaissances et des compétences,

  5. de la maîtrise de la langue ou des langues d’apprentissage.

Quand on a choisi de faire des études de comptabilité, on savait qu’on s’engageait dans des études contraignantes qui devraient nous préparer à satisfaire à des exigences du marché de plus en plus élevées en termes de compétences techniques et relationnelles, de comportement et de qualité morale.

L’étudiant en comptabilité a accepté ainsi de relever le défit, notamment celui du volume des connaissances à acquérir (car la comptabilité et ses disciplines connexes ne présentent pas des difficultés logiques majeures) tout en sachant qu’il bénéficiera des avantages d’un marché gratifiant que ses aînés ont réussi à former et au développement duquel il devra, le jour venu, contribuer à travers sa carrière professionnelle.

Dans le vocabulaire français, comptable est synonyme de responsable. C’est dire qu’un comptable doit d’abord avoir conscience de la nécessité de se sentir responsable et de se comporter en responsable et la première manifestation de la conscience de responsabilité est la prise en main de sa propre formation.

Nous y voilà au cœur du sujet :

Le premier déterminant de la qualité des apprentissages en comptabilité est plus que jamais l’apprenant lui même puisque la compétence ne se suffit plus de l’acquisition des savoirs à une date déterminée, elle consiste aussi et surtout à acquérir les aptitudes à entretenir et à maintenir cette compétence dans un environnement où l’accumulation des savoirs s’accélère à un rythme fort.

Une fois le principe de la responsabilité de l’étudiant sur la consistance et la qualité de son instruction est admis, il faut que l’étudiant sache exploiter le temps disponible, se procure les outils d’apprentissage et bénéficie de l’encadrement des professeurs qui l’encouragent voire le contraignent à apprendre à voler de ses propres ailes.

L’étudiant dispose-t-il du temps ?

L’observation d’une année universitaire permet de constater :

  1. Qu’un semestre n’est en fait qu’un trimestre de 13 semaines théoriques et 12 semaines d’enseignement effectif (d’ailleurs, je me demande à quoi sert cette inflation de langage).

  2. Qu’un étudiant dispose en général de deux fois 15 jours pour préparer les examens, et

  3. Que les examens occupent entre 2 à 4 semaines de temps.

En tout, l’agenda officiel de l’étudiant n’est occupé que 8 mois dans l’année. Il reste donc 4 mois de temps libre voire des fois d’avantage. Si j’enlève un mois de repos utile, nous pouvons constater que l’étudiant dispose de l’équivalent d’un semestre universitaire (entendre par là, un trimestre calendaire) de libre. C’est à travers l’aptitude de l’étudiant en expertise comptable à exploiter ce temps disponible que ce soit pour parfaire un apprentissage antérieur ou pour préparer à l’avance un apprentissage futur que se manifeste l’intelligence d’approche de ses études supérieures.

A cet égard, je puis affirmer que le plus grand nombre d’étudiants qui ont pu exceller aussi bien au cours des études que lors de leur insertion professionnelle affirment avoir su mettre à profit cette réserve de temps pour parfaire et développer leur instruction.

Comment se procurer les outils d’apprentissage ?

Il n’est pas dans nos traditions d’intégrer dans notre budget l’acquisition des livres nécessaires à notre formation, pourtant nous aspirons tous à être des intellectuels de haut niveau dans les disciplines qui relèvent de l’expertise comptable. Nous agissons comme si on pouvait aspirer à être savant sans disposer des savoirs. C’est ce type de tradition qui nous empêche d’accéder aux niveaux les plus élevés car il est facile de vérifier l’existence d’une corrélation entre la consistance et la qualité de la formation et le niveau de savoir d’un côté et l’importance de la bibliothèque personnelle de l’autre.

Mais, comme l’Internet est devenu aussi une source documentaire très riche, la constitution d‘une bibliothèque personnelle et la possession d’un ordinateur sont des outils qui interviennent avec force dans la qualité et la consistance de la formation de l’étudiant en comptabilité.

Et, si l’objection selon laquelle les étudiants n’ont pas de bibliothèque personnelle par faute de moyen est vrai pour certains, elle n’est souvent qu’un mauvais alibi pour la plupart et traduit en fait un mauvais ordre de priorité dans les esprits.

La prise en main de ses apprentissages dispense-t-elle l’étudiant d’être assidu aux cours et aux travaux dirigés ?

La réponse est un non absolu. L’auto-apprentissage de l’étudiant est un plus qui vient performer les apprentissages dans les cours et travaux dirigés. Loin de justifier le moindre relâchement quant à l’impératif d’assiduité aux cours et aux travaux dirigés, la préparation à l’avance des cours et l’auto-apprentissage transforment la qualité de l’écoute de l’étudiant et relèvent son intelligibilité des cours et des travaux dirigés sans jamais dispenser l’étudiant de son devoir d’assiduité.

Conclusion

Il ressort de cette réflexion que nous assistons à un nouveau partage des rôles et des responsabilités dans la performance de l’éducation supérieure en expertise comptable où l’étudiant joue le premier rôle dans la consistance et la qualité de sa formation et en vertu duquel cet étudiant commence déjà à semer les germes de sa réussite professionnelle depuis qu’il est étudiant.

Mais ce nouveau mode d’acquisition et d’appropriation des connaissances est encore plus exigeant en compétence disciplinaire et pédagogique des enseignants qui doivent, probablement, se préparer dores et déjà à des mutations profondes de leur métier, mutation qui inclut aujourd’hui le devoir d’expliquer à l’étudiant combien il est important qu’il apprenne à apprendre tout seul.

Bibliographie :

- Philippe Perrenoud, L’obligation de compétence ou comment rendre compte de son travail quand on enseigne ? Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève 2001.

(www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2001/2001_31.html)

- Conseil supérieur de l’éducation, Canada :

  • Rapport annuel 1999-2000 : Education et nouvelles technologies.

  • Rapport annuel 2000-2001 : La gouverne de l’éducation.

  • Réussir un projet d’études universitaires : des conditions à réunir.

  • Améliorer le curriculum et l’apprentissage : Innovations américaines et choix québécois (Reginald Grégoire inc). www.cse.gouv.qc.ca/default.htm  


[1] Le maître a failli être prophète.

[2] Philippe Perrenoud, l’obligation de compétence ou comment rendre compte de son travail quand on enseigne ?

[3] Op. cit